Par Gérard Lebel, C.Ss.R.
Nos Ancêtres, vol 2
René Lepage appartenait à une famille très unie : Germain et Reine Larry, ses père et mère; Louis, son oncle; Constance, sa tante. Germain et Louis émigrèrent au Canada avant 1664; les autres, après 1667, puisqu’ils ne sont pas mentionnés dans le recensement de cette année-là.
Constance épousa François Garinet le 5 février 1674, fut mère de 5 filles et d’un garçon, Pierre, décédé à l’âge de 18 ans. Quant à Louis, son frère, il prit comme épouse Sébastienne Loignon, engendra 7 filles et autant de garçons, vécut à St-Francois, Île d’Orléans, où reposent ses cendres depuis le 27 novembre 1710. Sa couronne: une nombreuse descendance.
Aujourd’hui, limitons nos recherches à la famille de Germain, époux de Reine Larry, père de René, seigneur de Rimouski.
En Basse-Bourgogne
Germain venait de la Basse-Bourgogne où, jadis, passèrent les Romains conquérants. Une des douze communes de Courson-les-Carrières, chef-lieu du canton de l’Yonne, se nomme Ouanne. C’est là que seraient nés les membres de la famille Lepage, déjà présentés. L’église du XVIe siècle dédiée à Notre-Dame offre ses services religieux à plus d’un millier d’habitants. L’archevêché d’Auxerre se trouve à une vingtaine de kilomètres. Ce pays de collines et de vallées présente encore aux regards des visiteurs des champs de céréales et de cultures maraichères.
Germain Lepage, d’après nos documents canadiens, naquit vers 1638. Il était fils d’Etienne Lepage et de Nicole Berthelot. Dans la vingtaine, il épousa Reine Larry, de 10 ans son aînée, de qui il eut un fils, René, vers 1659.
A l’Île d’Orléans
C’est le 9 juillet 1664, que le nom de Germain Lepage apparaît pour la première fois dans nos Archives nationales. Il s’agit d’une concession de terre de 3 arpents de front par Mme d’Aillebout à Germain et à Louis. Cette terre était donnée et concédée «à titre de cens et rente seigneurialle….à prendre dans le fief et seigneurie dargentenay en liste dorléans du coste du nord». Duquet, notaire royal, signa le document en y ajoutant un majuscule parafe.
A partir de ce contrat, nous pouvons déduire que les deux frères arrivèrent ensemble. De plus, les nouveaux colons devaient avoir accompli un engagement de 36 mois au service d’un individu, d’une institution ou du gouvernement, avant d’être acceptés comme citoyens propriétaires. Nous savons que Louis travaillait comme domestique chez le sieur de Tilly, Charles Le Gardeur, en janvier 1664. Quant à Germain, on n’a encore rien trouvé à ce sujet. La conclusion normale s’impose : Germain et Louis débarquèrent à Québec 36 mois avant d’être concessionnaires, soit en 1661.
Pendant 32 ans
Germain et Louis, comme deux petits frères, unirent leurs efforts pour pratiquer une trouée dans la forêt, bâtir une maison et un abri pour le bétail. Germain préparait la venue de sa femme Reine Larry et de son fils René. Un jour, que nous aimerions préciser, ce fut la grande réunion. René, l’unique espoir du foyer, avait grandi. Il découvrait l’Amérique!
Le 24 octobre 1672, les frères décidèrent de partager leur ferme. Louis prit les 2 arpents du côté de la veuve Chartier avec la maison au-bas de la côte, près de la grève, celle qu’ils avaient construite ensemble sur les 2 arpents appartenant à Germain. C’est pourquoi Louis gardait un demi-arpent de plus. Germain avait comme voisin Pierre Maillou dit Desmoulins.
Chose surprenante, le 14 août 1673, les Lepage vendent leur terre aux Hospitalières de Québec par l’intermédiaire de Nicolas Huot dit St-Laurent, procureur. L’arpenteur Jean Guyon mesura les 4 arpents de front « au passage du Nord de la dite isle sur laquelle sest Rencontre six arpents et demy… de terre nette un arpent et demy de bois abattu… avecq un corps de maison» .Prix de cette vente cession : 415 livres tournois. Germain continua d’exploiter la même ferme, semble-t-il. Le 1er août 1677, les Hospitalières lui concédèrent une terre de 3 arpents de front à St-François, au sud de l’île. En 1689, Germain possède une grange à cet endroit.
Le recensement de 1681 donne Louis Martineau comme voisin de Germain. Celui-ci possède 1 fusil, 12 bêtes à cornes, 50 arpents en culture. Un succès! Notre ancêtre demeurera à l’île jusque vers 1696, 32 ans.
Contrat solennel.
Le 10 juin 1686, à «Ste-anne du petit cap», réunion exceptionnaelle à la maison de Pierre Gagnon, époux de Barbe Fortin. Une brochette de personnages influents encerclait la table où le notaire Jacob faisait lecture du contrat de mariage de René Lepage avec M.-Magdeleine Gagnon. D’un côté, tout le clan Lepage: Germain, René, Louis, Constance, etc.; de l’autre, les grands-parents Pierre Gagnon et son épouse, Julien Fortin et Geneviève Gamache, les frères et soeurs Gagnon, oncles et tantes, cousins et cousines, Jean Le Picard, marchand bourgeois de Québec. Même Robert Gagnon, un lointain cousin vivant à l.île d’Orléans, s’était déplacé pour assister à la cérémonie. Ajoutez « Philipes clément dit du haut» écuyer; de Varenne, capitaine d’infanterie; Claude de Ramsay, écuyer, sieur du Just, lieutenant capitaine de «monsieur de Troies, Jacques François Chevalier» , lieutenant en cette compagnie, et Joseph de Cabanac, écuyer. Comment expliquer la présence de cette élite militaire? Peut-être venait-elle recommander à sainte Anne la situation militaire du pays.
Pour impressionner, chacun y alla de ses cadeaux. La future de 15 ans vit déposer dans sa corbeille de mariage 200 livres tournois en plus de 2 taureaux d’un an offerts par ses parents! le grand-père Julien Fortin ajouta une belle vache de 2 ans. Germain Lepage et Reine Larry offrirent à René leur terre large de 4 arpents avec maison, grange, étable et 50 arpents de terre défrichés. Après un an, René bâtira une maisonnette pour ses parents.
A cette occasion, Germain et René signent. Louis ajoute un parafe à sa signature. La cérémonie religieuse eut lieu le même jour à l’église Ste-Anne. M. Joseph de Cabanac, «lieutenant dans les troupes de Sa Majesté en ce pais» inscrivit aussi son nom dans le registre avant celui du curé de la paroisse. Puis, ce fut le grand banquet de noces, à Ste-Anne.
Seigneur de Rimouski
Un jour, le fils René voulut quitter l’île et vivre sur la terre ferme. le 17 mars 1693, Frantenac lui concéda en roture une lieue de terre de front avec deux de profondeur derrière le fief de Lespinay, à la Rivière du Sud, Cette concession fut ratifiée en avril 1694.
René abandonna ce projet de colonisation. Car, le 10 juillet 1694, le sieur de la Cordonnière proposa à René d’échanger la terre qu’il possédait à l’île d’Orléans, pour la seigneurie de Rimouski, y compris l’île de St-Barnabé, avec tous les droits, privilèges et obligations mentionnés en l’acte de la première concession. La «seigneurie de Remousquy autrement dit Saint Barnabé size sur le fleuve Saint Laurent dud coste du Sud contenant deux lieües de front sur led fleuve sur deux lieües de profondeur» était considérable, mais peut-être pas encore satisfaisante pour l’appétit de ce rassemblement de terres.
René rendit fois et hommage pour son fief dès 1695. En juillet de l’année suivante, il arrivait avec son épouse et ses 5 enfants dans son nouveau domaine. En 1703, il l’agrandit du fief de Pachot à la Rivière Métis, par un marché fait avec Charlotte-Françoise Juchereau, moyennant la somme de 300 livres. L’acquéreur paya comptant en huile de poisson : 60 livres. Les 240 livres restantes furent acquittées par l’entremise de Pierre Raymond , marchand de Québec, l’année suivante. Le proche voisin de René était le seigneur Jean Riou de Trois-Pistoles. A part Pierre St-Laurent, Pierre Gosselin, et la parenté, peu de gens vinrent le rejoindre. Il construisit pour sa famille une maison en colombage de 50 pieds sur 20, près de la rivière Rimouski, au Brulé; une grange pour son bétail. Plus tard, il bâtit un petit moulin à scie. En 1712, une chapelle fit son apparition à Rimouski, la première, grâce à la libéralité des Lepage.
Le seigneur eut 16 enfants. Il fit instruire Louis qui devint curé et seigneur de Terrebonne, Geneviève figure dans la liste des élèves des Ursulines de Québec, Joseph mourra jeune étudiant au séminaire de Québec. Quatre filles deviendront religieuses: 2 Hospitalières, 1 Ursuline et 1 de la Congrégation Notre-Dame de Montréal.
René fut inhumé à Rimouski, à l’âge d’environ 69 ans, le 4 août 1718. La seigneuresse, M.-Magdeleine Gagnon lui survécut 26 ans. Pierre, l’aîné, époux de Marie Trépagnier, devint le second seigneur de Rimouski.
Le patriarche
Hélas! l’acte de décès de l’épouse de Germain n’a pas été consigné dans nos registres comme ceux des ancêtres Julien Fortin, Jean Riou, Pierre Rondeau, le couple Bolduc et bien d’autres. Nous pensons qu’il est survenu entre 1687 et 1696. René partit pour aller s’installer dans sa seigneurie, avec sa famille et son vieux père seulement.
A Rimouski, pendant plus d’un quart de siècle, Germain Lepage laissa dans son entourage une réputation de saint patriarche.
Mgr Guay, auteur de l’histoire de Rimouski, rapporte que Germain Lepage « passa le reste de ses jours dans la méditation des vérités éternelles, édifiant tout le monde par ses exemples de vertu solide et de piété constante.
Aux jours de dimanche, il assemblait les personnes de l’endroit, faisait la prière en commun, expliquait le catéchisme aux petits enfants et suppléait ainsi au pauvre missionnaire qui ne pouvait visiter cet endroit qu’une fois tous les deux ans.
Il ondoyait les enfants nouveau-nés, assistait les malades à leur dernier moment, les exhortait à faire courageusement le sacrifice de leur vie, leur rappelait les miséricordes infinies de Dieu.
Il mourut en grande vénération, l’an 1723, le 26 février» âgé d’environ 85 ans.
Le Récollet Gelase de Lestage, en revenant de Miramichy, fit célébrer un service et écrivit:
« …. est décédé Joseph-Germain Lepage, d’une vie exemplaire, dans une mortification de tous les sens, d’une dévotion angélique, mort en odeur de suavité, parlant jusqu’à sa dernière heure… Il est trépassé en embrassant son crucifix» Il faut chercher longtemps dans les archives de l’Église canadienne pour trouver un témoignage aussi éloquent.